Tentation
Voilà un mot, comme tant d’autres, qui a été tortillé dans tous les sens…
Il suffit de le prononcer pour exciter une incroyable diversité de réactions.
Il rime souvent avec interdit et attraction plus ou moins coupables : la publicité use et abuse souvent de ce ressort dans ses slogans, affiches et spots télévisés pour nous faire croire que nous voulons ce dont nous n’avons pas besoin.
En religion, la tentation est aujourd’hui suspecte : on la soupçonne souvent de culpabilisation ou de morale excessive perverse.
On a même « relifté » la sixième demande du Notre Père récemment pour la rendre plus « fréquentable » par nos contemporains, de langue française au moins, preuve qu’il existe une sérieuse ambiguïté sur ce mot.
Quelques précisions s’imposent alors pour « tenir » le sens biblique du mot tentation :
- Au sens étymologique la racine per du mot « peirasmos » en Grec utilisé dans la Bible et traduit par « tentation » et des mots « expérience » ou « péril » en latin signifie « aller de l’avant », « pénétrer dans ». Ce mot a donc une connotation existentielle et révèle plus une infidélité en Dieu qu’une faute morale à proprement parler.
- Ce terme n’est jamais utilisé dans la Bible en dehors du registre de la Foi : « l’épreuve » est le lot exclusif des croyants et c’est pourquoi il est tentant d’abandonner la foi pour ne pas la subir. Les autres sont épargnés ce qui veut dire que la vie du baptisé est loin d’être une promenade de santé ou une partie de plaisir.
L’enjeu de la tentation, c’est de rompre la relation à Dieu, rien de moins.
Désespérer de Dieu par exemple devant les maladies, la convoitise, les avanies, les railleries, la violence ou l’emprisonnement. Tout ça met la foi à rude épreuve. Elle met en danger la relation du croyant à Dieu, sa confiance en Dieu.
Notre problème est donc de conserver la foi après l’épreuve.
D’après le récit des tentations de Jésus au désert suite à son baptême dans les évangiles de Luc et Matthieu (Lc 4,1-13, Mt 4, 1-11), c’est le lien de filiation du baptisé à son Dieu que met sous tension l’interrogatoire du « tentateur » au désert.
La situation d’aujourd’hui, ces rues vides partout, sont un désert et notre confinement, un vrai carême, temps dans lequel nous sommes interrogés par le « tentateur ».
« S’il est vrai que tu es le fils de Dieu » le tentateur veut couper le lien de filiation de Jésus à son Pére et ce de trois manières, par trois tentations (le 3 symbolisant une action complète dans la Bible), qui réunissent les épreuves fondamentales de l’existence, les limites de la condition humaine à savoir le pain, le pouvoir et la vie sans fin.
Le pain
« Transformer une pierre en pain » donne l’idée d’un matérialisme sans limites à même de combler la faim et la misère. L’abondance et la fortune renvoient à une peur viscérale et profonde : celle de manquer, symptôme de vulnérabilité, limite qui est la marque même de la condition humaine.
La tentation du matérialisme est aujourd’hui absolument partout. Et c’est celle qu’éprouve le virus : la peur de manquer demain et celle-ci s’ajoute à celle du pouvoir.
Le pouvoir
Le pouvoir temporel est la puissance fantasmée de la force, maitresse de toute chose, du glaive et de la séduction de l’argent omnipotent.
Devenir un (petit) dieu sur terre, c’est cela être fils de Dieu ?
Le politique et l’économique, le culte religieux de l’égo, devenir un Robinson Crusoé auto-suffisant affranchi de toute forme d’autorité, sans maîtres ni lois est le projet de l’individu dit post-moderne qui rêve d’en finir avec la mort, troisième tentation la plus perverse, l’immortalité.
L’immortalité
La folle aspiration à l’immortalité, le mirage d’une vie sans fin ni commencement.
Devenir comme des dieux en oubliant et en s’affranchissant des limites de la vie humaine : « sky is the limit » paraît-il.
Une existence sans fin voilà qui donne le tournis.
La résurrection que nous allons bientôt fêter, ce n’est pas l’immortalité.
La Bonne Nouvelle, l’espérance en la promesse que l’Évangile (l’évènement-Christ, pas les textes) proclame que le terme de la vie sur terre ouvre sur le don d’un au-delà, pour tous.
Le « tentateur » lance férocement sur une humanité fragile et limitée, trois javelots que sont la possession, le pouvoir et l’immortalité pour répondre aux limites du genre humain que sont le manque, l’insignifiance et la mort.
La vrai tentation au sens chrétien, c’est la volonté de puissance.
Contre l’exemple du Christ, véritable vocation de l’humanité, consciente de ses limites et dépendante d’un autre qu’elle-même pour assurer son salut.
Se soumettre à la tentation, c’est confondre, c’est même fusionner l’humain et le divin.
Nos limites, notre finitude et l’altérité ne sont pas des obstacles à la vie humaine.
C’est son indispensable condition d’existence.
Joyeuses fêtes de Pâques
Sébastien