Eudes : Mesdames et messieurs les jurés, veuillez vous lever.
Lors de la préparation de ce temps fort à Notre Dame du Laus, l’apôtre Judas Iscariote a été rejeté des 12 équipes à une très grosse majorité des voix. Nous allons tenter ce soir de faire son procès avec Maître Gilda Cumbo, avocat général, et Maître Joëlle Boget, avocat commis d’office  de l’apôtre Judas.

Joëlle : je précise que mon client  ne peut être présent ce soir pour cause de mort par pendaison.

Gilda :  Je ne comprends pas ce procès. Il n’a pas lieu d’être.  Il est impensable que le groupe de pèlerins aixois accepte la présence de Judas Iscariote  à Notre Dame du Laus. Les faits parlent d’eux-mêmes. Cet homme, cupide, vénal, voleur, est tout de même accusé de haute trahison. Comment accorder de l’indulgence à un homme capable de trahir son ami pour 30 misérables pièces d’argent.

Joëlle : Objection, votre honneur !

Eudes : objection accordée

Joëlle : mon client Judas était trésorier du groupe, il était donc chargé d’administrer l’argent commun. De là à le traiter de voleur… vous y aller un peu fort, Maître ! Certes, Jean dans son évangile, avance qu’il profitait de sa tâche pour voler dans la caisse… mais avons-nous des preuves ? tout au plus, peut-être, s’était-il un peu trop attaché aux choses matérielles… est-ce un crime ?

Gilda : Maître Joëlle, je vous rappelle que  nul  ne peut servir 2 maîtres à la fois. Entre Dieu et l’argent, il faut savoir choisir et Judas a fait son choix, pour lui,  tout est question de finances.  Mêler l’argent à tout, c’est tout juste pas possible.
C’est comme l’affaire de l’Onction de Béthanie, rappelez-vous. Cette grande dame, Marie de Magdala, qui est au demeurant  la Sainte Patronne de la très honorable Communauté de Tresserve, a répandu humblement, silencieusement et avec beaucoup d’audace, une livre de parfum très pur et de grande valeur sur les pieds de Jésus. Et bien, le cœur de ce gougeât de Judas est resté fermé devant ce geste si  délicat et généreux. Que croyait-il ? que Marie  pouvait offrir un parfum de pacotille, A JESUS ?  En s’offusquant sur le prix du parfum, il a jeté du discrédit sur toute la coopération des parfumeurs et ça s’est grave et scandaleux.
Heureusement Jésus a  approuvé le don de Marie et lui a donné une signification prémonitoire : l’ensevelissement de son corps.

Joëlle : Bravo, maître, voilà une belle démonstration de l’éloquence qui a fait votre réputation ! mais permettez moi de vous dire que vous n’y êtes pas du tout ! il cherchait avant tout à défendre les pauvres ! la vente de ce parfum aurait rapporté une somme suffisamment coquette pour leur venir en aide ! c’est une intention très louable qui est tout à l’honneur de mon client ! on peut même dire que quelque part, c’était un anti gaspi avant l’heure !
Mais nous devrions peut-être revenir au motif de condamnation : mon client est accusé d’avoir trahi Jésus, pas d’avoir volé. Je pense que c’est là un motif suffisant, ce n’est peut-être pas la peine d’en rajouter !  D’ailleurs à ce propos, j’ai ici un témoignage de Mme Hélène, de Corsuet que je souhaiterais vous partager :

Eudes : c’est la personne qui est toujours à contre-courant… ! et qui écrit dans Aix les Bains Magazine ?

Joëlle : Judas… Pourquoi dire que tu prends dans la bourse commune, par exemple ?
Que tu es un voleur !
Le fait de trahir (si cela est avéré) ne suffit-il pas ?
J’ai peur que nous te mettions un maximum de fautes « sur le dos » pour oublier nos propres manques, nos propres trahisons …
Pour expliquer que nous, petits saints, nous n’aurions évidemment pas pu avoir une telle conduite !
Tu deviens le bouc émissaire tout trouvé !
Finalement, tu entres dans le même camp que Jésus :
S’il vaut mieux qu’un seul homme meure pour le peuple, il vaut mieux aussi qu’un seul soit accusé de tous les maux !
Voilà, je vous laisse méditer là-dessus !

Gilda : Le discernement pour un bon casting  n’est pas la qualité première de Jésus, vous en conviendrez, il s’est quand même bien planté, sur ce coup là. Le recrutement, c’est sérieux, il y a des spécialistes pour ça …
Et  pourtant il a prié  toute une nuit  avant d’appeler ses disciples. On dirait qu’il est attiré par les gens à problèmes.
Que dire de sa liste des 12 Apôtres, qui commence par Pierre, qui l’a renié 3 fois et se termine par Judas, qui l’a livré afin qu’il soit tué. N’est-ce-pas révélateur ?

Joëlle : Je vois, vous adoptez là la même position que les auteurs païens des premiers siècles, Comme Celse qui a qualifié Jésus de mauvais stratège.  Je ne suis pas d’accord avec vous. Judas a été choisi par Jésus pour être son disciple, son ami intime. Tout comme les autres, il avait reçu le pouvoir d’expulser les esprits impurs et de guérir toute maladie et toute infirmité. Non, Jésus ne s’est sûrement pas trompé de personne. Lorsqu’il l’a appelé à le suivre, « il posa son regard sur lui et il l’aima » tout comme avec le jeune homme riche. C’est avec le même regard d’amour et de miséricorde qu’il l’a regardé lors de la dernière Cène. Et avec le même regard de compassion et de tendresse qu’il l’a appelé « mon ami » au Jardin des Oliviers !  Jésus lui a gardé son amitié  jusqu’au bout !

Gilda : tout de même, c’est bien un traître. Son prénom n’est-il pas devenu au fil du temps un nom commun synonyme de « traitre ».  Les expressions qui témoignent de cette identification son nombreuses comme par exemple « le baiser de Judas » qui renvoie au moment où Judas désigne par un baiser celui qu’il va trahir  et le judas qui trahit la présence de quelqu’un derrière la porte. Et la liste est longue.
Oui, Jésus est bien un traitre qui a fait fi de l’amitié de son maître en le livrant pour quelques pièces d’argent.
Si le groupe d’Aixois bien informés et bien pensants l’ont éliminé, ils avaient sans doute de bonnes raisons…

Joëlle : vous n’arrêtez pas de traiter mon client de traître… mais nous ne trouvons le verbe trahir que dans l’évangile de Luc. Ailleurs, il est fait état de « livrer ».  Or, que veut dire « livrer » ? J’ai ici une explication de Mme Anne Soupa, dans le journal La Croix, journal digne de confiance, je pense, qui nous dit : « le verbe grec utilisé est paradidonai, qui veut dire livrer et non pas trahir, et qui n’a pas de connotation morale, c’est juste un fait objectif : remettre un paquet, un ordre ou quelqu’un, à quelqu’un d’autre ». Point de trahison là-dedans !
Plutôt que trahir Jésus, peut-être a-t-il voulu simplement le pousser à agir ! Eh oui ! comme beaucoup d’autres à l’époque, Judas croyait que Jésus allait les délivrer de l’occupation romaine… peut-être a-t-il voulu pousser Jésus à enfin se manifester dans ce sens, à réagir, sans imaginer une seconde qu’il ne se défendrait pas !
Et franchement, Maître, pensez-vous vraiment que le geste de Judas était nécessaire à l’arrestation de Jésus ? Allons, laissez-moi rire !  les fonctionnaires du Temple et les soldats romains n’avaient pas besoin de lui pour mettre la main sur Jésus, il ne s’est jamais caché !

Gilda : en attendant, c’est bien Judas Iscariote qui a été choisi pour cette mission… et d’ailleurs il s’est condamné lui-même en se pendant…

Joëlle : Certes, vous abordez là un point sensible… c’est la même Anne Soupa qui nous dit qu’au lavement des pieds, Jésus lui a tendu une perche. Pour elle, lorsqu’il dit « vous êtes purs, mais pas tous », il s’adresse plus à Judas qu’à Pierre, lui laissant entendre qu’il a été lavé par avance de sa faute. Si Judas veut bien se souvenir de cette parole, il pourra être sauvé. Malheureusement, Judas ne s’en souvient pas, il oublie la très grande miséricorde de Dieu qui lui est offerte, il va se laisser anéantir par le remord au point de se donner la mort.
Contrairement à Pierre, que vous avez cité tout à l’heure, qui lui aussi a trahi son ami. Sauf que lui, au moment du chant du coq, il va se souvenir de la parole de Jésus! Il regrettera amèrement, nous dit-on, et passera le reste de sa vie à se rattraper.
Et nous ? Nous qui sommes prompts à te lancer la pierre, Judas, peut-être nous est-il arrivé, à nous aussi, de perdre la confiance, d’abandonner le Seigneur, de ne pas oser proclamer notre foi devant un public hostile, de le trahir … Peut-être y a-t-il eu dans l’Eglise, au fil des siècles, des frères de Judas ?

Eudes : Mesdames et messieurs les jurés, nous avons écouté les arguments des deux parties,  c’est à vous maintenant de prendre votre décision : Judas Iscariote avait-il sa place ce soir parmi les 12 groupes d’apôtres ?

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