Difficile d’échapper, lorsqu’on visite Barcelone, à Antoni Gaudi. Il est partout : bien sûr dans les œuvres dont la capitale catalane a hérité, mais aussi dans la reprise de son style, omniprésente. Barcelone est aussi fière de Gaudi que Gaudi aimait Barcelone, mais pas seulement : il aimait aussi et par-dessus tout…Dieu. Oui Dieu, vous souvenez-nous seulement qu’Antoni Gaudi, surnommé « l’architecte de Dieu » était en cours de béatification ? Par ce geste, l’Eglise a voulu réaffirmer le lien indéfectible entre l’art et la foi, la beauté et la vérité et en projetant de béatifier Gaudi, elle veut singulariser la figure de l’artiste : voilà cinq siècles en effet, qu’il n’y a aucun artiste qui se soit distingué par sa foi, le florentin Fra-Angélico ayant été le dernier.
Qui était Gaudi ? un homme qui n’a jamais quitté la Catalogne : un enfant émerveillé des paysages de campagne, ébloui par la lumière de la Méditerranée. Ni héros, ni chef de file, ni premier de cordée : il est un aventurier, un aventurier de Dieu. En effet, la vie et l’œuvre de Gaudi sont intimement liées à la foi jusqu’au point de se confondre.
Il est en premier lieu fidèle. Loyal à ses racines, géographiques, culturelles et familiales certains ont même cru voir en lui un réactionnaire conservateur nationaliste borné. S’il ne parle que Catalan, ce n’est pas pour s’opposer mais pour maintenir vivant le souvenir d’un pays riche qui a pris sa part de l’histoire européenne. Il veut représenter l’héritage artistique et spirituel de la Catalogne : son œuvre tout entière est évangélisatrice de la modernité. S’il est fidèle, c’est dans tous les domaines de sa vie à tout ce qui lui a été donné : à ses maîtres, à ses amis, collègues, mécènes, aux principes artistiques qui sont les siens, à sa foi, à l’Eglise…pour lui, Dieu peut tout, y compris l’improbable. Il est intimement certain que son travail, loin d’être le résultat de ses aptitudes naturelles, est un don de Dieu dépassant son humanité. L’art, pour Gaudi, est ruissellement de la grâce.
Son œuvre c’est lui, avec son humanité fragile et légère, avec sa permanente disponibilité à la transcendance. Elle révèle la vérité de sa foi comme elle laisse transparaître celle de son peuple pour qui le génial architecte travaille en faisant d’elle, non une option ou un superflu, mais le cœur d’une culture, à l’image de l’évangile, où le Christ irradie les valeurs les plus élevées dans une communauté humaine particulière à une époque particulière.
L’architecture de Gaudi montre la parole de Dieu. Elle montre ce qu’elle dit au cœur, la présence de l’éternité revêtue de la finitude humaine. En construisant la Sagrada Familia, il voulait que ce soit une bible en pierre, une forêt de symboles pour élever l’âme vers Dieu. Mais attention, pas plus grande que l’œuvre de Dieu : la plus haute tour de la Sagrada Familia sera 50 cm plus basse que le mont Juic la colline voisine. Son art ne se comprend qu’au regard de la foi. Cet homme a inventé une forme de vie contemplative par l’esprit religieux qui marque chacune de ses tâches. L’art est le marchepied de la grâce.
« Vous êtes le Dante de l’architecture et votre œuvre est le plus grand poème chrétien en pierre » avaient reconnu le nonce du Vatican venu visiter le chantier. Benoit XVI disait également de Gaudi que la cathédrale inachevée de Barcelone est « sans aucun doute l’extase d’un mystique ». Cette dernière formule peut surprendre mais elle révèle la profondeur spirituelle de la vision de Gaudi, la nature foncièrement évangélique et christologique de sa vie intérieure. Ne vous y trompez pas, il n’est pas un être à ranger dans la catégorie des déséquilibrés mentaux, des personnes exaltés imperméables aux réalités terrestres. Il est un génie inspiré par Dieu qui lui-même s’est inspiré de la nature pour exprimer sa foi.
Lorsqu’il a reçu son diplôme d’architecture, ses examinateurs lui ont dit : « soit nous donnons ce diplôme à un génie, soit à un fou. Le temps nous le dira ». Et le temps a parlé.
L’humilité est sa seconde vertu : enfant modeste, il refuse la gloire et les honneurs encourageant ses admirateurs à louer Dieu. Il gardera une distance nécessaire pour repousser les dérives de la société moderne mais sans jamais la conspuer. Il est un homme de son temps, devenu un des maîtres de cette modernité. Il ne renie aucune des expressions du passé, il les maitrise toutes mais il les fait sienne, les actualise et les transcende dans une création ouverte sur l’avenir. Il aime et utilise le progrès scientifique tout en détestant ses effets néfastes. Jamais il ne légitime un retour à un âge d’or fantasmé.
Ce qu’il n’accepte pas, c’est la « tabula rasa », l’art de tout casser pour tout recommencer à partir de rien. Vouloir tout réinventer en faisant fi de l’histoire lui semble une grossière erreur. Dans sa tête, la création artistique n’est pas fille du néant. Elle prend corps à travers et à partir des formes du passé. Les artistes ne faisant pas cas de leurs prédécesseurs agacent Gaudi car il voit en eux le résultat stérile de la théorie de l’art pour l’art. A travers ses bâtiments, Gaudi crie au monde que si tout est permis et si tout se vaut, le pire est à venir. Ce pire, c’est l’enfermement de l’homme en lui-même, loin de son origine et de ses semblables, pris au piège de ses illusions.
En le surnommant « père », les ouvriers de ses chantiers ne s’y sont pas trompés. Gaudi est serviteur de la beauté qui est l’autre nom de l’amour. L’art de Gaudi, exubérant et exigeant, vise la vérité du réel, non la réalité physico-chimique du monde, mais la vérité de l’Evangile, la présence du Christ en notre condition, l’histoire entre Dieu et l’humanité.
Nous avons voulu introduire la célébration des confirmands par la vie d’un chrétien pour conclure le parcours de ceux que nous avons eu la chance d’accompagner jusqu’ici. Sans être tous des Gaudi, nous sommes tous des chrétiens qui héritent de Gaudi. Chez les saints, l’histoire est leur relation personnelle avec Dieu, et le 11/11, ils seront confirmés, ils auront reçu l’Esprit Saint. Très souvent, ils se demandent ce qu’il leur reste à faire : ne pas faire de leur foi une option ou un superflu. Faire de leur vie, le plus beau poème chrétien en chair grâce à l’écoute de l’Esprit Saint et en se méfiant des conformismes rabougris. Ainsi ils feront de toute notre famille une Sagrada Familia.