ÉVANGILE « Celui-ci est mon Fils bien-aimé » (Mc 9, 2-10)
En ce temps-là, Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean, et les emmena, eux seuls, à l’écart sur une haute montagne. Et il fut transfiguré devant eux. Ses vêtements devinrent resplendissants, d’une blancheur telle que personne sur terre ne peut obtenir une blancheur pareille. Élie leur apparut avec Moïse, et tous deux s’entretenaient avec Jésus. Pierre alors prend la parole et dit à Jésus : « Rabbi, il est bon que nous soyons ici ! Dressons donc trois tentes : une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. » De fait, Pierre ne savait que dire, tant leur frayeur était grande. Survint une nuée qui les couvrit de son ombre, et de la nuée une voix se fit entendre : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé : écoutez-le ! » Soudain, regardant tout autour, ils ne virent plus que Jésus seul avec eux. Ils descendirent de la montagne, et Jésus leur ordonna de ne raconter à personne ce qu’ils avaient vu, avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts. Et ils restèrent fermement attachés à cette parole, tout en se demandant entre eux ce que voulait dire : « ressusciter d’entre les morts »
HOMELIE
Le Fils Bien-aimé
Une fois, un sage, après un long voyage à pied, est arrivé dans un village et, très fatigué, il s’est assis sous un arbre pour se reposer. Très affamé, il ouvrit son sac à dos pour chercher quelque chose à manger. Il a trouvé une pomme. Alors qu’il était sur le point de manger la pomme, une mendiante est apparue et a demandé cette pomme. Le Sage lui dit: « Femme, comment puis-je te donner cette pomme, si c’est la seule chose que j’ai à manger, après un long voyage? Mais la femme a continué à insister. Alors le Sage lui dit: D’accord, je te donnerai cette pomme mais avec cette condition: quand je t’offrirai cette pomme tu devras dire: « non, je ne veux pas cette pomme ». La femme commence à dire: « Mais comment dire non à cette pomme ? C’est la seule chose que je puisse manger aujourd’hui, parce que j’ai faim. » Mais le Sage lui a donné le temps de réfléchir et de décider. Après un moment de silence, le Sage lui donne la pomme, et la femme dit: » Non, je ne Je ne veux pas de cette pomme». Puis le sage lui tendit la pomme pour qu’elle la mange.
Ce qui s’est passé, c’est que, cette femme, au moment où elle s’est arrêtée pour réfléchir, elle s’est dit: «Si je suis capable de dire non à cette pomme qui est tout ce que je veux en ce moment, alors je peux aussi dire non à beaucoup de choses dans ma vie, y compris la mendicité. À partir de ce jour, elle a cessé d’être mendiante, a cherché un emploi et a commencé à vivre dignement. Elle est devenue plus libre, libérée de la mendicité. C’était précisément ce que voulait le Sage.
Au deuxième dimanche de Carême, la Parole de Dieu définit le chemin que le vrai disciple doit suivre pour atteindre une vie nouvelle: c’est le chemin de l’écoute attentive de Dieu et de ses projets, le chemin de l’obéissance totale et radicale à Dieu. Nous devons dire «non» à beaucoup de choses dans nos vies pour que Dieu y occupe une place centrale.
En première lecture, la figure d’Abraham est présentée comme un paradigme d’une certaine attitude envers Dieu. Abraham est l’homme de foi, qui vit dans l’écoute constante de Dieu, qui accepte les appels de Dieu et qui y répond avec une obéissance totale (même lorsque les plans de Dieu semblent contraires à ses rêves et projets personnels). Dieu met Abraham à l’épreuve, et cette «preuve» à laquelle il est soumis est particulièrement dramatique: Dieu lui demande de prendre Isaac, son fils unique, et de l’offrir en holocauste sur une montagne. Cependant, Isaac n’est pas seulement le fils unique et bien-aimé d’Abraham, bien que cela seul ait suffi à rendre cette «épreuve» extrêmement difficile; mais Isaac est aussi l’héritier de cette promesse que Dieu a continuellement renouvelé à Abraham… Isaac est la garantie d’un avenir, de ces nombreux descendants qui prendront possession de la terre; c’est la garantie de ces promesses qui ont donné un sens au pèlerinage d’Abraham depuis que Dieu lui a dit de quitter sa terre, sa famille et la maison de ses parents. Abraham se retrouve face à un Dieu qui semble reprendre ce qu’il avait donné et dont la parole semble aujourd’hui démentir celle d’hier. Pourquoi ce changement de plans? Quels sont, en fait, les desseins de Dieu? Peut-on faire confiance à un Dieu qui change d’avis de cette manière? Le pari d’Abraham, de tout laisser pour parier sur les défis de Dieu, était-il une bonne option? La vraie « preuve » est la suivante … C’est l’absurdité d’une exigence qui nie l’histoire même du salut; c’est continuer à attendre un Dieu qui, en un instant, semble vouloir détruire les rêves qu’il a aidé à créer; c’est continuer à faire confiance à un Dieu qui se contredit et qui semble tout à coup oublier tout ce qu’il avait promis; c’est l’impasse, l’obscurité, la souffrance dans lesquelles Abraham se trouve soudainement; c’est être invité à se jeter aveuglément dans un chemin sombre et incompréhensible.
Comment Abraham va-t-il réagir à cette formidable «épreuve»? Du début à la fin, Abraham n’ouvre la bouche que pour dire «me voici»; expression de disponibilité totale devant Dieu. De plus, Abraham ne discute pas, il ne cherche pas de réponses à ce drame incompréhensible qui semble hypothéquer tout ce que Dieu lui avait promis. Abraham agit simplement. Il se lève à l’aube, prépare ses affaires pour l’holocauste, il part. Dans la «montagne du sacrifice», Abraham construit l’autel, attache la victime et tire le couperet pour tuer son fils. Le silence d’Abraham, l’immédiateté de la réponse et la manière déterminée dont il agit montrent un abandon, une confiance absolue en Dieu, une obéissance portée aux conséquences ultimes.
Ayant parcouru le long et pénible chemin du «procès», arrive enfin le moment où Dieu, par la voix de son messager, fait le bilan et voit le résultat. La «preuve» est concluante: tout le comportement d’Abraham tout au long de cette «crise» témoigne qu’il «craint le Seigneur».
Le comportement d’Abraham face à cette «crise» révèle avant tout la place absolument centrale que Dieu occupe dans son existence. Dieu est, pour Abraham, la valeur maximale, la priorité fondamentale;
Dans la vie de l’homme de notre temps, cependant, Dieu n’occupe pas toujours la place centrale qui lui est due. Souvent, l’argent, le pouvoir, les carrières professionnelles, la reconnaissance sociale, la réussite, prennent la place de Dieu et conditionnent nos options, nos intérêts, les valeurs qui nous guident. Abraham, le croyant pour qui Dieu est la coordonnée fondamentale autour de laquelle toute vie se construit, nous invite, en ce Carême, à revoir nos priorités et à donner à Dieu la place qu’il mérite. Un jour, comme Abraham, Dieu nous demandera de sacrifier notre « fils bien-aimé, » c’est-à-dire, ce que nous mettons au centre de nos vies.
En «sacrifiant» nos idoles, Dieu nous transfigure, comme cela s’est produit avec Jésus, selon le récit de l’évangile d’aujourd’hui. Après le désert, la montagne ! À la suite d’Abraham et de Jésus, tout comme Pierre, jacques et Jean, nous sommes invités à gravir une montagne, lieu symbolique par excellence de la rencontre avec Dieu. Et là, au sommet de cette montagne, Jésus est transfiguré : son corps d’homme devient resplendissant de ce que sera son corps ressuscité.
Comme tout pèlerinage, notre marche de Carême est donc un chemin de dépouillement où nous apprenons à nous déposséder d’un regard limité aux apparences. Nous sommes invités à nous défaire du superflu pour atteindre l’essentiel : oser la confiance en ce Dieu capable de tout transfigurer, y compris les forces du mal et la mort elle-même.